Compte rendu de la journée du 25 janvier 2003 Tours
Histoires de vie et éducation spécialisée
Participants :
Philippe Bagros. Dept de sciences humaines en Médecine Fac de
Médecine Tours
Domingos Penha. Educateur spécialisé. Chef de service
à l’association La Source(37).
Gaëlle Siméoni. Educatrice spécialisée au
Foyer Occupationnel des Hermites
Nicole Croyère. Cadre soins palliatifs . Met en place des évaluations
de qualité.
Christine Lecoq Sureau. Responsable de formation d’apprentis de
la ville de Tours.
CFA Tours nord
Rémy Baudoin. Formateur à Angers
Gaëlle Barbarin. Educatrice spécialisée
M.Noëlle Arnault Sabatier. Monitrice éducatrice dans un
centre d’hébergement et
de réinsertion sociale.
Joëlle Bolle Impliquée dans les récits de voyages.
Culture,
interdisciplinarité et histoires de vie.
Evelyne Henninger-Maussant, Responsable d’un centre de bilans
de compétences.
Hervé Lafargue Intervenant. Chef de service d’un foyer
d’hébergement
et d’accompagnement à la vie sociale.
Natacha Lamblin. Intervenante. Educatrice spécialisée
dans un service d’éducation spécialise et de soins
à domicile pour déficients intellectuels. SESSAD (36).
Francine Sébilo. Intervenante. Educatrice spécialisée
en milieu ouvert. (72).
Christine Abels Formatrice à l’ITS de Tours.
Gaston Pineau Professeur à l’université de Tours.
Edith Chabot. MCF en Sciences de l’Information et de la Communication
à l’IUT de Tours
Absents excusés :
Christophe Niewiadomski est absent pour raison de santé.
Murielle Molinié et Alex Lainé pour des raisons personnelles.
L’intimité et la vie en collectivité Hervé
Lafargue
Hervé Lafargue est chef de service d’un foyer d’hébergement
et d’accompagnement à la vie sociale. C’est dans
ce foyer qu’a été réalisée cette étude.
Il y a 15 résidents.
Cadre de la recherche et problématique
- Notre société pénètre de plus en plus
souvent l’intimité.
- Un ado a donné cette définition de l’intimité
: “ on n’a nulle part ou aller pour pouvoir pleurer tranquillement
”
- En quoi une collectivité peut-elle mettre à mal l’intimité
?
- La notion d’intimité. Elle est liée au concept
d’espace, au statut de la personne handicapée mentale.
Outils
- L’observation participante
- La tenue d’un journal de recherche (carnet de bord ; récit
d’expérience).
Ainsi ils donnent eux-mêmes la signification de leur expérience
vécue.
- En outre 5 entretiens dont deux avec la même personne
Conception professionnelle
- des valeurs. En particulier le respect. Avec en amont une conception
de l’Homme. Réfléchir à son passé
et à son devenir, et être capable de se responsabiliser.
- comprendre ce que les résidents entendent par “ vie privée
”.
- Le paradoxe de devoir rentrer dans la vie privée pour la comprendre
se résout grâce à la contractualisation. Difficulté
de rendre les questions compréhensibles ; de ne pas réveiller
certaines douleurs.
- Le récit permet de replacer l’intimité dans un
récit d’expérience de la vie institutionnelle.
Connaissances retirées de cette étude.
- Importance de la contractualisation.
- Difficulté d’accepter ce qui est dit, et pour cela, faire
abstraction de ses propres représentations. Ceci a été
une acquisition plus importante que le contenu même.
Quelques exemples de surprises :
Pour trouver de l’intimité, il fallait aller dehors, dans
le bois.
Il y a des stratégies inattendues, comme éteindre les
lumières dans sa chambre pour que les autres ne viennent pas
(ils pensent qu’il n’y a personne ; sinon ils viendraient
sans qu’on les y invite).
L’intimité c’est autant ne pas gêner les autres
que ne pas être gêné soi même. Il y a un habitus
institutionnel au sens de Bourdieu : ainsi l’absence de rideaux
dans les dortoirs finit par modifier la conception de la pudeur ; la
nudité et la masturbation font partie du décor.
L’odeur pour se protéger de l’intrusion… !
Pourquoi cela provoque de la colère de dire qu’il faut
donner le linge à laver ? Le mélange de son linge avec
celui des autres est une agression à l’intimité.
On a pu noter une différence entre les adultes qui ont un long
passé institutionnel, donc en collectivité, (peu d’intimité
et de pudeur) et ceux qui ont vécu dans leur famille, dans le
monde ordinaire, et ont donc intégré intimité et
pudeur.
Il y a une autoformation : est-ce qu’on sait naturellement dans
une institution de ce type qu’on a le droit d’être
respecté ? L’intimité s’apprend….Le
seul fait d’avoir abordé la question de l’intimité
à l’occasion de cette étude a entraîné
une prise de conscience.
On a vu des comportements nouveaux :
Dire “ tu n’as pas le droit de pénétrer dans
ma chambre ”.
Les gênes ont pu s’exprimer entre les résidents.
Le désordre n’est plus ignoré.
Ecrire sur sa porte “ frapper avant d’entrer ”.
Ils ont écrit un contrat avec les éducateurs et le directeur.
Valorisation des savoirs d’expérience des résidents.
Lectures pouvant approfondir la réflexion induite par ce travail
:
Libres ensemble de François de Singly.
La trame conjugale de J.Cl. Kaufmann
Natacha Lamblin raconte son expérience d’éducatrice
spécialisée dans une maison d’éducation pour
déficients intellectuels et ensuite dans un service d’éducation
spéciale et de soins à domicile( SESSAD) et l’apport
de la pratique des histoires de vie dans cet accompagnement éducatif.
Cadre de la maison d’accueil
- La maison accueille 10 adolescents pour des séjours de cinq
semaines, séjour de découverte d’une autonomie sociale
qui se double d’un stage en milieu professionnel. Le groupe est
accueilli par une équipe d’éducatrices qui travaillent
chaque jour en doublure .
- Les jeunes sont des déficients intellectuels légers.
Leurs déficiences les empêchent de suivre une formation
classique, mais n’excluent pas la formation professionnelle.
- Cette formation s’effectue au sein de l’institution «
mère », Institut médico-éducatif qui se situe
à une trentaine de kilomètres de la maison d’accueil
pour les stages.
- Ils peuvent être accueillis dans l’institution à
partir de 12 ans, et repartent à 20 ans maximum, ce qui paraît
souvent bien tôt. On souhaite souvent que leur famille puisse
les reprendre quelque temps mais après une longue habitude de
séparation, ils découvrent souvent seuls la vie autonome
en appartement.
- Durant la prise en charge au sein de l’IME, ils apprennent beaucoup
de techniques qui comblent les manques aussi bien en vue d’un
métier que dans des actes de la vie courante personnelle, comme
tenir un appartement.
- Avant 14 ans ils font le tour des 5 ateliers (cuisine ; horticulture
; peinture ; maçonnerie ; ou préparation à un travail
en CAT) et doivent assez rapidement choisir leur orientation professionnelle.
Il y a dans chaque atelier un volet théorique et un volet pratique.
Paradoxalement plus le jeune est compétent professionnellement
plus tôt il arrêtera le volet théorique.
Cadre du Sessad
- Après être intervenue dans le cadre de l’accompagnement
des jeunes adultes à la suite de leur sortie de l’établissement,
l’intervention éducative de Natacha, s’effectue dans
le cadre d’un service d’éducation spéciale
et de soins à domicile.
- Après un parcours en institution, certains jeunes ont une orientation
vers ce service.
- Ceci leur permet d’être accompagné par une équipe
constituée de professionnels éducatifs paramédico
et médico (orthophoniste, psychomotricien, psychiatre, psychologue),
professionnels que le jeune adulte peut solliciter en cas de besoins.
- Ils bénéficient donc d’un accompagnement tout
en étant indépendant ( habitent seul en appartement) et
en travaillant dans le milieu ordinaire de travail.
- L’observation de recherche se fait donc auprès de jeunes
qui ont été suivi en institution et qui ont à présent
un suivi « à distance », ne vivent plus en internat.
Analyse des échecs observés après la sortie (à
20 ans)
- Il y a une proportion notable d’échecs (considérés
comme tel par l’équipe de l’établissement)
qui se traduisent souvent par des changements d’orientation après
la sortie. Par exemple “ on n’avait pas osé dire
qu’on n’aimait pas l’horticulture ”. Peut être
s’est-on trop fixé sur les déficiences, en oubliant
les désordres propres à l’adolescence. On avait
un projet pour eux. C’est par des passages à l’acte,
rupture avec l’institution, que ces jeunes finissent par se faire
entendre. Dans l’institution, ils ne se sentent pas autorisés
à dire ce qui ne leur convient pas ; ils le font ensuite, quand
ils reviennent pour en parler ; parfois pour dire “ maintenant
que je suis chez moi j’aimerais bien le faire ”. “
apprendre à écrire pour pouvoir tenir un journal intime,
et pouvoir montrer un jour quelque chose à mes petits enfants
! ”.
- Au sein de ces deux structures d’accompagnement, natacha a proposé
des ateliers d’histoire de vie afin de créer un espace
possible d’élaboration pour ces jeunes adultes, espace
de parole sur leur histoire et sur leur devenir.
Le cas Jézabel
Jézabel est sortie de l’institution après avoir
obtenue un contrat à durée déterminé
chez un boulanger, renouvelé plusieurs fois puis non renouvelé
: Il fallait savoir lire et écrire…. L’employeur
le souhaitait sans aller jusqu’à la demande A la sortie
de l’jnstitution, elle est orientée vers le Sessad.
C’est dans ce cadre d’accueil que jézabel a souhaité
entamer un récit de vie. Elle a plusieurs interrogations sur
son histoire. Après échec des tentatives d’apprentissage
de l’écriture la conclusion est “ tu es dyslexique
» , parole qu’elle a entendue dans un lieu où elle
s’est rendue pour faire une formation de remise à niveau
en français. Lors d’une consultation d’orthophoniste
(consultation demandée par la jeune), celle-ci dit : “tu
n’es pas dyslexique : quand tu seras prête, tu pourras apprendre
”. Elle a pu ultérieurement reprendre une démarche
pour apprendre à lire dans une association de quartier.
La demande de faire son récit de vie vient après les problèmes
professionnels. C’est paradoxalement à un moment de chômage
où elle n’était plus préoccupée de
conserver son emploi et n’était plus prise dans la demande
d’un autre pour apprendre à lire.
“ J’aimerais raconter plus tard ma vie, comme ma grand mère
”.Elle a choisi un cahier. Natacha est venue dans sa chambre.
Le récit a été enregistré , écrit
et donné à Jézabel qui s’aperçoit
alors qu’elle arrive à relire certains mots, et finalement
le recopie dans son journal intime .Elle souhaite effectivement que
l’écriture sur son cahier soit la sienne.
“ C’est bien d’avoir appris à parler, maintenant
je vais pouvoir aller voir le psychiatre du service ”.Fut l’une
de ses paroles après une première rencontre pour faire
son récit.
Au cours de ce travail, elle a donné un sens aux difficultés
qu’elle a rencontrées à l’école, elle
dit avoir eu la tête prise par ce qui se passait à la maison.
» Il y avait tant de violence à la maison que je ne pouvais
pas me concentrer à l’école ».
Grâce au contact de l’éducatrice spécialisée
à travers cette rencontre, elle a pu « s’autoriser
« à faire des choix pour son avenir professionnel. Après
ce temps de pause pour elle, elle a demandé à travailler
dans un CAT (“ et tant pis si cela ne plait pas à mon père
! ”)
Elle a trouvé une place en CAT et a eu une maternité…(en
même temps que Natacha),elles ont repris contact et ont eu un
échange sur ce vécu de maternité, échange
entre deux « jeunes mamans ».
Conclusion :
- Par rapport à l’accompagnement éducatif dans un
SESSAD :
- La transdisciplinarité recherchée dans ce type de service
pourrait se manifester ici par la reconnaissance du savoir des personnes
accueillies, la prise en compte de ce savoir dans le partage des différents
regards de chaque intervenant du service pour arriver à un savoir
commun : un savoir de la personne.
- En écoutant les récits de vie de ces jeunes adultes,
nous prenons conscience qu’ils peuvent être pris dans des
conflits de loyauté non seulement avec leur famille mais aussi
avec les adultes qu’ils rencontrent dans leur prise en charge
éducative et que sans une prise en compte de leur existence,
leur orientation, leurs projets n’ont que peu de sens pour eux
et on risque de les placer dans l’impossibilité de faire
entendre leur désir autrement que par la rupture ou le passage
à l’acte.
Francine Sébilo rapporte “ une pratique d’histoire
de vie avec des parents en AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert)
avec le support de l’arbre généalogique.
C’est le travail d’une éducatrice spécialisée
intervenant dans les familles, donc hors institution, au moment ou une
situation est considérée comme dangereuse. La demande
initiale émane des parents et est adressée à l’assistante
sociale de quartier. C’est souvent sur décision d’un
juge d’enfants après une enquête sociale. Il faut
ensuite rendre compte au juge, tout en définissant dans la synthèse
d’autres objectifs. Les parents signent le contrat. Lorsque le
danger vient des parents, l’intervention est basée sur
un signalement.
Il s’agit de problèmes de délinquance, de problèmes
scolaires, de suicides, de fugues.
On peut travailler avec la famille sur une longue durée, avec
des entretiens soit au bureau, soit à domicile. Avec les enfants
ce peut être aussi des sorties. L’accent est mis sur les
parents. Des bilans périodiques permettent de dire un jour “
vous n’avez plus besoin de moi ”.
Les familles se réfèrent habituellement à un passé
récent, et ont des difficultés à aller plus en
arrière. Quand il y a maltraitance elle est souvent banalisée
par l’intéressé.
Le contrat ;
Confidentialité : certaines personnes ne doivent pas être
mentionnées dans le rapport au juge.
Utilisation de l’arbre généalogique.
Exemples :
- Ex 1) Une dame fait le constat que dans sa famille il y avait de la
violence, et elle se demande si elle va transmettre cela à ses
enfants. Sur 3 enfants, l’un, un garçon, est le préféré
de la grand- mère. Les parents se culpabilisent des difficultés
que cette injustice crée chez les autres.
- Ex 2) Une femme séparée d’un homme maltraitant.
Elle se demande pourquoi en 15 ans elle l’a fait revenir à
plusieurs reprises.
- Ex 3) Questionnement sur les relations entre les membres de la famille.
Utilisation de dessins, et de ce qui est dit autour du dessin.
Les entretiens sur l’arbre généalogique durent environ
1h30. Il y a une grande fluidité de parole autour du travail
de mémoire. On peut passer 6 heures sur une histoire familiale.
Le récit s’attarde sur des zones confuses. Des sentiments
ambivalents s’y manifestent. Des questions de mise en sens émergent
à ce moment là. On remet de l’ordre dans les générations
; On découvre le contexte social.
Il y a construction identitaire au moment ou, par exemple, le père
a pu considérer qu’il en savait assez sur son histoire
familiale et a cessé d’envisager un effet destructeur de
sa famille sur ses enfants.
Il y a un processus de dégagement : on s’est libéré
du récit familial.
Au-delà se pose le problème de l’ouverture ultérieure
du dossier.
Christine Abels Les enfants placés et leurs parents, dans une
quête de place et Sens.
Les enfants protègent leurs parents. Ils mettent le plus souvent
sur eux-mêmes la responsabilité des dysfonctionnements
parentaux. Le récit que les enfants ont produit et ont adressé
à un interlocuteur leur permet de comprendre les conditions dans
lesquelles les parents ont été amenés à
les placer. On situe la cause de la séparation enfants-parents
dans un ensemble dont ils n’avaient pas conscience, à partir
d’un retour et d’une réflexion sur les conditions
concrètes d’existence de la famille avant la séparation
qui conduit au placement ; l’enfant réalise alors qu’il
n’y est pour rien, et cela sans avoir à disqualifier ses
parents.
Parfois le placement est injustifié, mais provoque une “
descente aux enfers ” des parents, qui justifie ensuite le placement.
Beaucoup de parents finissent par s’en sortir grâce à
l’intervention d’une personne ressource qui les restitue
à leur place de parents qu’ils peuvent se réapproprier
: “ vous êtes la mère ;il n’y a que vous ;vous
avez le droit d’aller chez le médecin , d’aller à
l’école ”.
Il s’agit de permettre aux enfants de retrouver une place d’enfants,
et aux parents une place de parents.
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