Journée Hivigo du 25 novembre 2006
Présentation du livre de Christine Abels-Eber
"Pourquoi on nous a séparés ? Récits de vie
croisés : des enfants placés, des parents et des professionnels"
avec la participation des auteurs des récits et d'Eugène
Enriquez
Compte rendu rédigé par Patrice Audurie
Matinée exceptionnelle ! La présence
de plusieurs auteurs de récits a illuminé cette matinée
automnale. Une belle histoire de rencontres.
Avant que chaque auteur de récits ne s’exprime,
Christine Abels-Eber évoque le déroulement de la construction
de cet ouvrage en indiquant les étapes qu’elle a connues
suite à la parution de son premier livre. Construction faite
de rencontres avec des travailleurs sociaux et des parents d’enfants
confiés.
Elle est indignée - en colère - par l’absence
de considération des travailleurs sociaux à l’égard
des personnes en difficulté.
Elle précise cependant que son livre traite
de parents en difficulté sociale, jamais maltraitante à
l’égard de leurs enfants.
Elle revendique l’importance de devenir des porte-parole
des exclus de la parole et de l’obligation de prendre conscience
de la parole de ceux qui vivent des difficultés sociales.
Après cette introduction, joignant de nouveau
la parole à l’action, elle donne ainsi la parole aux auteurs
des récits alimentant son ouvrage.
Marie, mère d’une enfant placée
à l’Aide Sociale à l’Enfance, indique ses
sentiments, ses impressions quant à la valeur de sa parole face
aux divers travailleurs sociaux. Elle ne cessait de répéter
le même discours, au mot près, pour ne pas être accusée
de mensonge ou de manipulation.
Avec émotions, elle reconnaît la qualité
d’écoute de Line et d’Anne qui l’ont accompagnée
durant le placement de sa fille à l’ASE et au cours de
la mesure d’Assistance Educative en Milieu Ouvert (AEMO).
Elle souhaite que son expérience puisse aider
d’autres parents à mieux prendre leur place parentale dans
de telles situations.
Dorothée, fille de Marie et, elle-même,
mère depuis peu, indique qu’elle a découvert l’action
de sa mère lors de la lecture des récits que celle-ci
leur a fait dans le cadre de l’écriture de cet ouvrage.
Elle en fut étonnée et a pris conscience de la force de
Marie au cours de ces années d’éloignement.
Elle indique également que la famille d’accueil
lui permis de se reconstruire tout en conservant sa place d’enfant
et de fille auprès de sa mère malgré les tensions
vives qui pouvaient parfois exister entre elles deux.
Le placement génère aussi des déplacements
à l’intérieur des classes sociales. Ces deux personnes
(mère-fille) ne parlaient plus de la même chose sous le
même mot.
Line, l’assistante familiale qui a accueilli
Dorothée rappelle combien est difficile de travailler avec un
service qui ne cesse de nommer des éducateurs référents
auprès de l’enfant confié : 4 en 7 ans d’accueil.
Elle évoque aussi son souci de ne jamais prendre
de décision sans préalablement avoir discuté avec
Marie.
Anne, l’assistante sociale exerçant une
mesure d’AEMO auprès de Marie, s’interroge sur la
façon dont les travailleurs sociaux peuvent répéter
les actions pour que rien ne bouge. Elle précise la prise de
risque qu’elle s’accorda pour permettre à cette femme
de redevenir mère et pour comprendre les processus dans lesquels
elle pouvait être.
Monsieur G, directeur d’une institution tourangelle, questionne
les mots du travail social, de l’intervention éducative.
Des mots souvent jugeants, méprisants, dévalorisants,
inadaptés. Cet homme regrette que prendre des risques actuellement
ne soit plus reconnu comme une action pertinente et responsable.
Avant de quitter la salle en raison d’obligations
familiales, Marie et Dorothée rappellent la difficulté
et l’épreuve d’être stigmatisées sans
cesse en raison d’une histoire personnelle marquée de difficultés
sociales.
Gaston Pineau signale l’exceptionnalité
de cette rencontre tant le croisement des dialogues se révèle
riche. Il présente également l’auteur de la préface
du livre de Christine Abels-Eber, légende vivante de la psychosociologie,
de la réflexion sur le changement social.
Eugène Enriquez, donc, clôture cet échange
par ses réflexions et ses interrogations. Entre l’omnipotence
de certains travailleurs sociaux et l’impuissance de certains
autres, la voie certes délicate et éprouvante de la prise
de risque est indispensable.
S’engager avec attention dans une attitude pragmatique,
d’écoute au cas par cas, laisser la parole à celui
qui la prend deviennent des atouts professionnels dans nos sociétés
d’insignifiance et d’inégalités.
« Il n’y a pas de bonne institution ! »
rappelle t-il avec force et convictions. Cependant, il est obligatoire
de s’interroger sur le fonctionnement de chaque institution pour
ne pas se leurrer et tromper l’autre.
Il revendique aussi l’art de converser, l’art
de la conversation dans le travail social.
Il oblige à repenser la relation éducative
avec le concours des éléments suivants : la proximité
confiante et la distance méthodologique.
Cette belle rencontre se termine sur une invitation
à (re)lire Paul Ricoeur tant cette demi-journée peut en
être une illustration.
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