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Hivigo
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Rencontre Hivigo
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rencontrer des gens pour être mieux |
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Autrement dit, dans « réseau d’échanges
de savoirs », certains entendent d’abord « savoirs
», d’autres « réseau d’échanges
». Mais pour qu’il y ait autoformation, pour que «
ça marche », il faut un certain équilibre entre
les deux, entre la quête de savoir et ce que j’ai appelé
la quête existentielle, qui relève du rapport à
soi et aux autres. On a là deux pôles en tension, et à
mon sens beaucoup de dysfonctionnements que l’on peut observer
dans les Réseaux ont à voir avec cette tension. Mon projet
était donc, grâce à la démarche biographique
mise en œuvre dans l’atelier « Mes savoirs et moi »,
que chaque personne puisse travailler, relier à sa façon
la dimension cognitive (vouloir apprendre) et la dimension existentielle
(rencontrer des gens pour être mieux).
Pour construire la méthodologie de l’atelier, je me suis
appuyée sur l’ouvrage de Ginette Robin, Guide en reconnaissance
des acquis , mais aussi sur les travaux plus théoriques de Pascal
Galvani. Je proposai finalement aux participants une investigation à
double dimension :
- d’une part un travail diachronique sur son parcours de formation,
centré sur le récit de vie ; chaque personne était
amenée à socialiser son histoire au sein du groupe, en
tentant de répondre à la consigne : « quels sont
les événements et expériences marquants qui m’ont
construit, qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui? »
ce récit était ensuite interrogé, travaillé
en écho dans le groupe, selon les modalités habituelles
de la démarche Histoire de vie, pour en travailler le sens ;
- d’autre part, et dans un second temps, un travail synchronique
d’investigation sur une expérience particulière
que j’appelai « une expérience à la loupe
»; chacun choisissait une expérience qu’il souhaitait
travailler particulièrement, la décortiquait, l’analysait,
pour faire ressortir en quoi elle avait été formatrice,
quels savoirs et compétences elle avait permis de développer,
quelles « leçons » la personne pouvait finalement
en tirer.
Cela dit, il était hors de question que j’impose quoi que
ce soit au groupe, chacun devait se sentir libre, à l’intérieur
du cadre défini au début, d’avancer à son
rythme et d’approfondir ou non tel ou tel travail proposé.
Le contenu effectif des séances s’est donc construit peu
à peu, d’une rencontre sur l’autre, au gré
des propositions des uns et des autres. Au final, le travail autour
des récits de vie a été privilégié,
alors que le décorticage d’une expérience a été
quelque peu délaissé. Sans doute le questionnement des
participants portait bien davantage sur la quête de sens global
que sur les compétences spécifiques développées
dans l’action.
Je voudrais insister maintenant sur ce que j’appelle
le contexte facilitateur des Réseaux. Les valeurs et l’éthique
qui sont celles des Réseaux constituent incontestablement un
paysage facilitant la mise en place et l’accompagnement d’une
telle démarche biographique en groupe. Dans les Réseaux,
nous sommes dans le « co » : coformation, mais aussi co-accompagnement.
L’animateur, même si l’on attend de lui qu’il
possède quelques lumières supplémentaires sur la
démarche Histoires de vie, ne perd pas pour autant son statut
de pair par rapport aux autres membres du groupe. Ce n’est pas
un professionnel, il n’est pas en position de surplomb; au contraire,
il y a mise en commun des apports des uns et des autres pour avancer
dans la démarche. Nous ne sommes pas dans un cadre institutionnel,
les seules contraintes qui existent sont celles que le groupe se donne
à lui-même. Notamment, le temps n’est pas compté,
contrairement à la logique économique habituelle où
le temps vaut argent. C’est donc un vrai luxe!
D’autre part, le climat de confiance nécessaire à
ce type de travail existe déjà au sein du Réseau,
où le respect de l’autre constitue une valeur phare. Le
regard positif, délibérément valorisant, porté
sur chacun contribue à créer une ambiance spécifique,
particulièrement favorable à l’expression de soi.
L’accompagnateur n’a pas à œuvrer beaucoup pour
entretenir cette confiance accordée à priori. Quant au
volontariat, condition absolument nécessaire à tout travail
d’Histoires de vie, il est ici, bien évidemment, totalement
garanti.
Les exigences éthiques de la démarche Histoires de vie,
telles qu’elles sont définies par exemple dans la charte
de l’ASIHVIF, sont ainsi plus facilement réunies que dans
nombre d’autres contextes d’intervention.
Au final, qu’est-ce que la participation à
cet atelier biographique, pendant deux ans, a produit pour les participants?
Comme dans tout travail d’Histoires de vie, me semble-t-il, on
retrouve une double direction, tout à la fois une production
de savoirs sur soi et un travail sur le lien social. Autrement dit,
il s’agit à la fois d’un moment d’individualisation
et d’un moment de socialisation. Ces « effets » en
termes de prises de conscience sur soi et les autres ont été
largement abordés dans la littérature sur les Histoires
de vie, je ne vais donc pas m’y attarder. Je vais seulement insister,
là encore, sur ce que le contexte des Réseaux apporte
de spécifique.
De fait, les entretiens menés avec les participants de l’atelier
« Mes savoirs et moi » montrent clairement que les apports
en termes de « découverte » et de « compréhension
» des autres ont été prédominants. Chacun
est confronté au sein du groupe à d’autres points
de vue, à d’autres visions du monde. Il s’ouvre aux
autres du groupe, mais aussi, à travers eux, aux autres en général.
Il y a prises de conscience à la fois sur ses représentations
issues de son environnement social d’origine, familial notamment,
mais aussi sur les conditions socio-historiques qui ont influé
sur son trajet de vie. Tout cela nous renvoie à l’apport
émancipateur du travail d’Histoires de vie. On peut parler
de « gain en civilité », la civilité étant
définie brièvement comme « l’intelligence
mutuelle entre les personnes ». Ce concept de civilité
est aujourd’hui l’objet d’un important chantier de
recherche en sciences sociales, amenées à s’interroger,
dans nos environnements post-modernes, sur ce qui fonde « l’être-ensemble
».
La problématique de la civilité permet de dépasser
les impasses propres à l’opposition binaire individu /
société et de montrer comment ils se créent mutuellement.
Mais cette problématique renvoie aussi à l’horizon
plus large de la Cité et réintroduit la dimension politique,
par le biais d’une réflexion sur une nouvelle citoyenneté.
En guise de conclusion, je dirais qu’un atelier biographique comme « Mes savoirs et moi » apporte un surcroît de civilité dans un espace, celui des Réseaux, déjà largement traversé par cette vertu, en raison de son éthique de référence, comme on l’a vu précédemment. Le fait que la démarche Histoires de vie et le mouvement des Réseaux renvoient à des valeurs communes produit à mon sens un effet démultiplicateur en termes de « plus-d’être-ensemble », de gain en civilité, d’intelligence collective. A l’inverse, on peut penser que si on met en place une démarche biographique dans un contexte institutionnel trop éloigné des valeurs propres aux Histoires de vie en formation, celui-ci rabatte ou rogne la portée émancipatrice de la démarche.
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Claire HEBER-SUFFRIN présente l'ouvrage publié
en 2004, « Quand l’Université et la formation réciproque
se croisent. Histoires singulières et histoire collective de
Formation », l’Harmattan, coll. Histoire de vie et formation,
dont elle est la coordinatrice.
Cette recherche-action-formation est collective et prend en
compte dix ans de pratiques de partenariat entre le Mouvement des Réseaux
d’Echanges Réciproques de Savoirs (MRERS) et le Département
des Sciences de l’Education et de la Formation de l’Université
de Tours : 18 étudiants et formateurs font une histoire singulière
et collective de leur formation dans un groupe DUHEPS.
C’est une première. Elle permet de découvrir de l’intérieur, écrites par leurs acteurs-auteurs, quinze aventures de formation, vitales d’un point de vue culturel, d’un point de vue socio-politique et d’un point de vue bio-cognitif. Elle capitalise en plus l’apport créatif des réseaux : réseaux d’alliés, ateliers de lecture et d’écriture… Et enfin elle situe le DUHEPS dans un réseau nternational de formation-action-recherche entre la France et le Québec.
Compte-rendu de la présentation rédigé par Edith Chabot
Claire Héber-Suffrin et des co-auteurs de l'ouvrage
"Quand l'Université et la Formation réciproque se
croisent", évoquent comment, après trois années
en DUHEPS (Diplôme Universitaire des Hautes Etudes de la Pratique
Sociale), étudiants et formateurs ont souhaité relater
leurs implications dans cette formation, fruit d'une alliance entre
le Mouvement des Réseaux d'Echanges Réciproques de Savoirs
et l'Université de Tours.
Claire rappelle comment elle devient partie prenante dans cette formation
dès 1995, puis comment elle apprend à l'animer(co-animation
avec P. Galvani en 1998), son souci étant :
- d'éviter l'abandon des étudiants en cours de route,
- de réduire le sentiment de solitude éprouvé souvent,
- de faciliter le travail de lecture et d'écriture, l'approche
méthodologique...
L'ouvrage est composé de cinq parties :
1 : La genèse de la formation
2 : Une aventure vitale d'un point de vue culturel
3 : Une aventure vitale d'un point de vue socio-politique
4 : Une aventure vitale du point de vue de la formation
5 : Transversalités
Pour Claire, cette formation peut être vue comme un voyage (chapitre 18) : "Ensemble, nous avons bien vécu l'apprentissage comme un voyage ; la relation comme un voyage ; l'apprentissage comme un voyage dans les relations et un voyage de relation" (p. 249).
Gaston évoque, pour sa part, sa triple implication : celle d'acteur, d'éditeur et de chercheur.
- Ecrire (Gaston est l'auteur du chapitre 1), c'est prendre le temps d'effectuer un retour réflexif sur son implication depuis 1985 dans cette formation, créée à Tours en 1980.
- Editer, c'est devoir prendre en compte les confrontations narcissiques qui peuvent survenir. Le rôle devient conflictuel.
- En relatant leur parcours de formation et de formateur, les acteurs/auteurs de l'ouvrage apportent un point de vue éclairant au chercheur qui s'intéresse aux modes d'apprentissage.
Des questionnements pédagogiques sont posés
: peut-on échanger ses savoirs à l'école ? De quelle
façon ? Est-il possible de favoriser l'entraide, la coopération
?
Claire fait état de ses pratiques : mise en place d'ateliers
(de lecture, d'écriture, de méthodologie), de réseaux
d'alliés, de formations réciproques organisées
autour des objets de recherche des étudiants, etc.
Selon Claire, l'éducation est bien "un acte d'amour et de courage" (P. Freire). L'accompragnement est tel qu'il s'avère difficile d'évaluer le temps des formateurs, notamment durant la dernière année, celle de la production du mémoire final et de la soutenance.
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