Hivigo
Histoires de vie Grand Ouest

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Janvier 2010

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Compte rendu du Samedi 16 octobre 2004 à Tours


Présents :
HEBER-SUFFRIN, ABELS, PINEAU, BUR, BAGROS, BOUILLER-PARIZOT, de FONTAUBERT, JUBIN-JEGOUSSO, ROBIN, CAZENABE, LEON-RICHARD, FUCHS, LAUNOIS, GUILLIN, LEPEDELLEC, REAU, AUDURIER, PECQUET, CHANTREAU, LAMBLIN, BOLLE, CHABOT.

BUR Annie nous présente le travail qu'elle a réalisé en 2004 : « Apprendre et être : démarche biographique et relance bio-cognitive. Une recherche-action au sein des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs », dans le cadre de son mémoire de DESS Fonctions ’Accompagnement en Formation, Département des Sciences de l’Education, Université de Tours.

Selon Annie, le questionnement initial est issu de plusieurs années d’engagement au sein des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs, puis d’une découverte, celle des histoires de vie en formation. Il s’agit d’aller vérifier la pertinence du recours à la démarche biographique au sein des RERS, d’en éclairer les limites éventuelles comme les facilités offertes par le contexte.
Un travail biographique mené en groupe et fondé sur l’expression de l’expérience devrait permettre à chaque participant de mieux articuler la dimension cognitive (vouloir apprendre) et la dimension existentielle (rencontrer des gens pour « être mieux »), plus ou moins présentes dans la quête de chacun en une tension bipolaire entre savoir-avoir et connaissance-être. C’est au travers d’une recherche-action que cette hypothèse est confrontée au terrain, par l’accompagnement pendant un an d’un atelier biographique au sein d’un Réseau de quartier. Cet atelier esquisse ce qui pourrait être une praxis anthropo-formative au sein des Réseaux d’échanges de savoirs, permettant d’accueillir la quête de sens et de sagesse désormais démocratiquement partagée dans nos nouveaux environnements post-modernes.

Texte proposé par Annie BUR à la suite de sa présentation lors de la journée du 16 Octobre 2004

HISTOIRES DE VIE ET RÉSEAUX

Introduction
Je viens vous parler de mon travail qui a abouti à la production d’un mémoire de DESS ici même à l’université de Tours. Je voudrais tout d’abord remercier Gaston Pineau de m’offrir la possibilité de revenir dans ces lieux emplis de souvenirs forts.
Cette recherche est directement issue de mon expérience au sein des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs : expérience de la création, puis de l’animation d’un Réseau dans mon quartier, à Paris 14e, investissement qui se poursuit d’ailleurs toujours aujourd’hui. Au-delà des aspects très positifs des Réseaux, sur lesquels je ne reviendrai pas ici, une réflexion personnelle a peu à peu germé autour de certains dysfonctionnements : notamment un manque de motivation des participants, entraînant un parcours souvent chaotique dans les échanges de savoirs. Parallèlement, j’ai découvert la démarche Histoires de vie en formation. C’est de cette rencontre entre mes réflexions sur les dysfonctionnements des Réseaux et ma découverte des Histoires de vie qu’est né mon questionnement initial. On peut le présenter ainsi : peut-on mettre en place une démarche Histoires de vie dans les Réseaux ? Quelle en serait la pertinence ? Mais aussi : les enjeux, les difficultés, les limites? Et surtout : les bénéfices attendus par rapport aux problèmes rencontrés? C’est pour creuser ce questionnement que je me suis engagée dans ce DESS. Parallèlement aux modules universitaires que j’ai commencés à suivre, en particulier le module Histoires de vie dans lequel j’ai pu travailler sur ma propre histoire, je me suis lancée dans la conception et l’animation d’un atelier biographique au sein de mon réseau de quartier. C’est ce travail d’atelier, qui a réuni très régulièrement sept personnes pendant deux ans, qui a constitué le terrain de ma recherche universitaire.
Plutôt que de vous infliger un résumé de mon mémoire, que par ailleurs vous pourrez toujours lire si vous le souhaitez , j’ai préféré faire un zoom sur quelques points de mon travail susceptibles d’intéresser plus directement les praticiens d’histoires de vie et /ou les membres des Réseaux que vous êtes.

1re partie
Réseaux et Histoires de vie : des cheminements convergents

J’ai voulu retourner aux sources des deux mouvements, les RERS d’une part et les Histoires de vie en formation d’autre part, pour tenter de mettre en évidence leur proximité, à la fois théorique et éthique.
Les Réseaux sont nés à partir de l’expérience singulière d’une jeune institutrice, Claire Héber-Suffrin, confrontée aux difficultés scolaires de ses élèves. Nous étions à Orly dans les années 70, dans une cité déshéritée de la banlieue parisienne. Ce n’est que peu à peu que cette expérience concrète s’est nourrie et enrichie d’apports théoriques divers.
Le courant des Histoires de vie en formation, à l’inverse, s’est constitué par le rapprochement de différents chercheurs et praticiens qui, jusque-là, expérimentaient la démarche biographique chacun à leur façon et, pourrait-on dire, chacun dans leur coin. Je fais référence ici, bien sûr, aux pionniers souvent cités : Gaston Pineau alors au Québec, Pierre Dominicé à Genève, Guy de Villers en Belgique, Bernadette Courtois et Guy Bonvalot à Paris. Il y a donc au départ, forcément, des différences entre les options et le théories de référence des uns et des autres.
Cela dit, au-delà de ces différences, c’est bien dans un terreau commun que s’enracinent les deux démarches, c’est bien aux mêmes valeurs qu’elles se rattachent. Je voudrais ici mettre l’accent sur quelques points qui me semblent saillants...

- le savoir émancipateur
« Convoquer le peuple au pouvoir, c’est l’inviter au savoir », proclamait le précurseur Condorcet en 1793. Cette vision du savoir au service d’un idéal démocratique va fonder ce que l’on nommera l’Education populaire. Les Réseaux s’inscrivent clairement dans cet héritage. Leur projet lie apprentissage et engagement citoyen. Claire Héber-Suffrin nous dit : « Plus j’apprends et plus je suis en mesure d’apporter ma pierre à la construction collective, de développer mon esprit critique, en mesure de refuser l’ordre établi et donc de continuer à apprendre. Plus je participe à des actions de transformation de la vie sociale et plus j’apprends, plus je découvre des champs d’apprentissages jusqu’alors insoupçonnées, plus j’ancre mes apprentissages dans le réel et dans l’action. » On voit bien là le rapport dialectique qui est établi entre apprentissage et émancipation.
Les pionniers des Histoires de vie reprennent aussi à leur compte cet héritage. Ainsi Gaston Pineau présente-t-il les Histoires de vie comme « méthode de conscientisation » en Education populaire.
De plus, dans ces années de l’après-68, années de bouillonnement contestataire et militant, une réflexion critique sur le rôle de l’école et de la culture dominante vient s’ajouter à cet héritage de l’Education populaire. Les pionniers des Histoires de vie tout comme les initiateurs des Réseaux vont être marqués par la lecture d’Ivan Illitch ( Une société sans école ) et de Paulo Freire (Pédagogie des opprimés ). Pierre Dominicé précise : « Le cadre scolaire était considéré à l’époque pour beaucoup d’entre nous comme un carcan aliénant. Il convenait de le recréer à partir des aspirations, voire des désirs, de ceux qui le subissaient. L’enseignement avait au mieux pour conséquence de permettre aux rares élus issus du milieu populaire de changer de camp, sinon de clan. Une pédagogie de la libération s’imposait, au nom de la liberté du dire et du faire qui devait un jour caractériser l’organisation sociale. »
Il s’agit bien, du côté des Réseaux comme du côté des Histoires de vie, de changer le monde à partir de pratiques éducatives émancipatrices.

- une « éthique de la considération »
La critique d’une certaine culture savante est en lien avec un nouveau regard porté sur « l’homme ordinaire », c’est-à-dire M. Tout-le-monde, chacun et chacune d’entre nous, mais aussi l’homme en tant qu’objet d’étude pour le chercheur en sciences humaines. Cet « homme ordinaire » est désormais considéré (au sens de « pris en considération »), il est perçu comme producteur de savoir et de savoir-faire et non plus comme un simple consommateur. Les histoires de vie en formation se donnent comme objectif de lui faire prendre conscience et de valoriser ses savoirs expérientiels, il n’est plus un « idiot culturel ». En écho, les RERS affirment que « tout le monde sait quelque chose » et qu’il « n’y a pas de grands et de petits savoirs ».
Ce positionnement éthique commun renvoie au débat plus général de la place du sujet en sciences humaines et se réfère à une tradition philosophique humaniste, représentée notamment par Jean-Paul Sartre et, plus récemment, Jürgen Habermas. Les pionniers des Histoires de vie tout comme les initiateurs des Réseaux se sont nourris également des travaux de Michel de Certeau, en particulier le premier volume de L’invention du quotidien, intitulé « Arts de faire », qui paraît en 1980. Gaston Pineau évoquera explicitement la « proximité de la recherche de M. de Certeau avec la nôtre». Il souligne : « Les pratiques quotidiennes [...] ne sont pas automatiquement le lieu de l’inculture, du banal, du trivial, de l’insignifiant comme le voit de trop haut une culture trop cultivée, coupée de ces pratiques quotidiennes. » L’activité des Réseaux est bien centrée, également, sur ces savoirs issus de la vie quotidienne, culture ordinaire que Certeau nomme joliment « la haute mer de l’expérience commune ».
C’est au nom de cette « éthique de la considération » que les praticiens-chercheurs en Histoires de vie vont refuser toute position de surplomb par rapport aux personnes avec lesquelles ils interviennent. Ils vont au contraire tendre vers une position de parité, parité qui est aussi une des règles d’or des Réseaux.

- l’approche de la complexité
Il s’agit là de l’influence de la pensée d’Edgar Morin, qui a fortement marqué les initiateurs des Réseaux tout comme les pionniers des Histoires de vie, en tout cas Gaston Pineau. Celui-ci déclare trouver là « un espace, une dynamique et un outillage conceptuels extrêmement neufs et stimulants» . Il va utiliser le modèle théorique de l’auto-éco-ré-organisation, que Morin a bâti à partir de l’organisation du vivant, pour construire le concept d’autoformation. Du côté des Réseaux, l’apport d’Edgar Morin se situe en particulier au niveau de la réflexion sur l’organisation, qui est désormais comprise comme mouvement et processus, en réorganisation constante. La forme « réseau » va tenter de tirer parti du désordre vital, en remettant en cause au passage les modèles dominants fondés sur la hiérarchie, la centralisation, la spécialisation.
Enfin, pour clore cette première partie, je voudrais souligner un autre point commun entre les Réseaux et les Histoires de vie, c’est le fait que ces deux démarches sont, à l’heure actuelle, très attractives, qu’elles sont, comme on dit, « dans l’air du temps ». Rapidement, on peut tenter d’évoquer les causes sociales de cet attrait.
Le contexte socio-historique impose plus que jamais à chaque individu de « produire sa vie ». Ce que l’on est, la place que l’on occupe dans la société et le parcours qu’on y accomplit ne sont plus des données imposées par la communauté, comme c’était largement le cas dans les sociétés traditionnelles. Au contraire, il faut sans arrêt, tout au long de sa vie, faire des choix. Autrement dit, l’identité n’est plus un donné, mais une quête incertaine, jamais aboutie. Cette dimension de « quête de soi » est évidente dans la démarche Histoires de vie. Pour ce qui est des Réseaux, je pense qu’elle est également très présente, en tout cas dans les attentes des participants. C’est du moins ce que j’ai tenté de mettre en évidence dans mon travail. Mais nous y reviendrons.
Autre constatation : les rapports au collectif ont également été profondément bouleversés par les dernières mutations socio-historiques. Certains déplorent une société de plus en plus individualiste. Je pense, pour ma part, que la « quête de soi » n’exclut pas, bien au contraire, la « quête de l’autre », voire la « quête des autres ». Cette question du rapport entre individu et collectif est au travail, de fait, tant dans la démarche Histoires de vie que dans celle des Réseaux. Là s’expérimentent de nouveaux rapports entre le « je » et le « nous », tentant de répondre à la fois à un désir accru d’autonomie individuelle et à un besoin réaffirmé de collectif. C’est en portant son regard sur ces nouvelles aspirations que l’on peut, à mon avis, tenter de comprendre le caractère attractif et séduisant de ces démarches.

2e partie
Autour d’une pratique : l’atelier « Mes savoirs et moi »

J’ai donc proposé dans mon Réseau de quartier la mise en place et l’animation d’un atelier biographique, que j’ai baptisé « Mes savoirs et moi ». Cette proposition constituait mon « offre » au sein du Réseau, puisque, dans les Réseaux, chacun formule des « offres » et des « demandes » de savoirs; c’est ce qui constitue son identité, en quelque sorte, dans le collectif Réseau.
L’objectif a été présenté ainsi, lors d’une réunion puis dans un document remis à chaque personne intéressée : « Il s'agit de réfléchir sur ce que l'on a appris dans sa vie, à l'école bien sûr, mais surtout à travers les diverses expériences traversées (professionnelles, associatives, familiales, amoureuses, etc.) ; de voir aussi ce qu'on aurait aimer apprendre, et pourquoi ça ne s'est pas fait ; enfin, de mettre un peu de sens dans tout cela, pour voir ce que l'on aimerait apprendre maintenant (dans le réseau, mais aussi en dehors), pour "grandir", pour se faire plaisir ou même – pourquoi pas – pour évoluer vers un nouveau boulot. »
Dans un premier temps, huit personnes se sont inscrites. A l’issue d’une première rencontre de cadrage et de contractualisation, sept personnes s’engagèrent finalement dans la participation à l’atelier. Nous nous sommes ensuite retrouvés très régulièrement une fois par mois pendant deux ans. Mon mémoire cependant ne porte que sur la première année; la seconde année n’était pas prévue au départ, mais tous les participants avaient souhaité continuer... Nos rencontres se sont terminées en juin dernier.
Ma problématique de recherche était issue d’une réflexion sur ce que les personnes venaient chercher dans les Réseaux. Des entretiens et des observations directes m’ont permis de montrer que les attentes des participants des Réseaux se situent quelque part entre deux extrêmes, qui sont :

consommer des savoirs gratuits

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rencontrer des gens pour être mieux

pôle des savoir

 

pôle de la convivialité

Autrement dit, dans « réseau d’échanges de savoirs », certains entendent d’abord « savoirs », d’autres « réseau d’échanges ». Mais pour qu’il y ait autoformation, pour que « ça marche », il faut un certain équilibre entre les deux, entre la quête de savoir et ce que j’ai appelé la quête existentielle, qui relève du rapport à soi et aux autres. On a là deux pôles en tension, et à mon sens beaucoup de dysfonctionnements que l’on peut observer dans les Réseaux ont à voir avec cette tension. Mon projet était donc, grâce à la démarche biographique mise en œuvre dans l’atelier « Mes savoirs et moi », que chaque personne puisse travailler, relier à sa façon la dimension cognitive (vouloir apprendre) et la dimension existentielle (rencontrer des gens pour être mieux).
Pour construire la méthodologie de l’atelier, je me suis appuyée sur l’ouvrage de Ginette Robin, Guide en reconnaissance des acquis , mais aussi sur les travaux plus théoriques de Pascal Galvani. Je proposai finalement aux participants une investigation à double dimension :

- d’une part un travail diachronique sur son parcours de formation, centré sur le récit de vie ; chaque personne était amenée à socialiser son histoire au sein du groupe, en tentant de répondre à la consigne : « quels sont les événements et expériences marquants qui m’ont construit, qui ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui? » ce récit était ensuite interrogé, travaillé en écho dans le groupe, selon les modalités habituelles de la démarche Histoire de vie, pour en travailler le sens ;

- d’autre part, et dans un second temps, un travail synchronique d’investigation sur une expérience particulière que j’appelai « une expérience à la loupe »; chacun choisissait une expérience qu’il souhaitait travailler particulièrement, la décortiquait, l’analysait, pour faire ressortir en quoi elle avait été formatrice, quels savoirs et compétences elle avait permis de développer, quelles « leçons » la personne pouvait finalement en tirer.
Cela dit, il était hors de question que j’impose quoi que ce soit au groupe, chacun devait se sentir libre, à l’intérieur du cadre défini au début, d’avancer à son rythme et d’approfondir ou non tel ou tel travail proposé. Le contenu effectif des séances s’est donc construit peu à peu, d’une rencontre sur l’autre, au gré des propositions des uns et des autres. Au final, le travail autour des récits de vie a été privilégié, alors que le décorticage d’une expérience a été quelque peu délaissé. Sans doute le questionnement des participants portait bien davantage sur la quête de sens global que sur les compétences spécifiques développées dans l’action.

Je voudrais insister maintenant sur ce que j’appelle le contexte facilitateur des Réseaux. Les valeurs et l’éthique qui sont celles des Réseaux constituent incontestablement un paysage facilitant la mise en place et l’accompagnement d’une telle démarche biographique en groupe. Dans les Réseaux, nous sommes dans le « co » : coformation, mais aussi co-accompagnement. L’animateur, même si l’on attend de lui qu’il possède quelques lumières supplémentaires sur la démarche Histoires de vie, ne perd pas pour autant son statut de pair par rapport aux autres membres du groupe. Ce n’est pas un professionnel, il n’est pas en position de surplomb; au contraire, il y a mise en commun des apports des uns et des autres pour avancer dans la démarche. Nous ne sommes pas dans un cadre institutionnel, les seules contraintes qui existent sont celles que le groupe se donne à lui-même. Notamment, le temps n’est pas compté, contrairement à la logique économique habituelle où le temps vaut argent. C’est donc un vrai luxe!
D’autre part, le climat de confiance nécessaire à ce type de travail existe déjà au sein du Réseau, où le respect de l’autre constitue une valeur phare. Le regard positif, délibérément valorisant, porté sur chacun contribue à créer une ambiance spécifique, particulièrement favorable à l’expression de soi. L’accompagnateur n’a pas à œuvrer beaucoup pour entretenir cette confiance accordée à priori. Quant au volontariat, condition absolument nécessaire à tout travail d’Histoires de vie, il est ici, bien évidemment, totalement garanti.
Les exigences éthiques de la démarche Histoires de vie, telles qu’elles sont définies par exemple dans la charte de l’ASIHVIF, sont ainsi plus facilement réunies que dans nombre d’autres contextes d’intervention.

Au final, qu’est-ce que la participation à cet atelier biographique, pendant deux ans, a produit pour les participants? Comme dans tout travail d’Histoires de vie, me semble-t-il, on retrouve une double direction, tout à la fois une production de savoirs sur soi et un travail sur le lien social. Autrement dit, il s’agit à la fois d’un moment d’individualisation et d’un moment de socialisation. Ces « effets » en termes de prises de conscience sur soi et les autres ont été largement abordés dans la littérature sur les Histoires de vie, je ne vais donc pas m’y attarder. Je vais seulement insister, là encore, sur ce que le contexte des Réseaux apporte de spécifique.
De fait, les entretiens menés avec les participants de l’atelier « Mes savoirs et moi » montrent clairement que les apports en termes de « découverte » et de « compréhension » des autres ont été prédominants. Chacun est confronté au sein du groupe à d’autres points de vue, à d’autres visions du monde. Il s’ouvre aux autres du groupe, mais aussi, à travers eux, aux autres en général. Il y a prises de conscience à la fois sur ses représentations issues de son environnement social d’origine, familial notamment, mais aussi sur les conditions socio-historiques qui ont influé sur son trajet de vie. Tout cela nous renvoie à l’apport émancipateur du travail d’Histoires de vie. On peut parler de « gain en civilité », la civilité étant définie brièvement comme « l’intelligence mutuelle entre les personnes ». Ce concept de civilité est aujourd’hui l’objet d’un important chantier de recherche en sciences sociales, amenées à s’interroger, dans nos environnements post-modernes, sur ce qui fonde « l’être-ensemble ».
La problématique de la civilité permet de dépasser les impasses propres à l’opposition binaire individu / société et de montrer comment ils se créent mutuellement. Mais cette problématique renvoie aussi à l’horizon plus large de la Cité et réintroduit la dimension politique, par le biais d’une réflexion sur une nouvelle citoyenneté.

En guise de conclusion, je dirais qu’un atelier biographique comme « Mes savoirs et moi » apporte un surcroît de civilité dans un espace, celui des Réseaux, déjà largement traversé par cette vertu, en raison de son éthique de référence, comme on l’a vu précédemment. Le fait que la démarche Histoires de vie et le mouvement des Réseaux renvoient à des valeurs communes produit à mon sens un effet démultiplicateur en termes de « plus-d’être-ensemble », de gain en civilité, d’intelligence collective. A l’inverse, on peut penser que si on met en place une démarche biographique dans un contexte institutionnel trop éloigné des valeurs propres aux Histoires de vie en formation, celui-ci rabatte ou rogne la portée émancipatrice de la démarche.

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Claire HEBER-SUFFRIN présente l'ouvrage publié en 2004, « Quand l’Université et la formation réciproque se croisent. Histoires singulières et histoire collective de Formation », l’Harmattan, coll. Histoire de vie et formation, dont elle est la coordinatrice.

Cette recherche-action-formation est collective et prend en compte dix ans de pratiques de partenariat entre le Mouvement des Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (MRERS) et le Département des Sciences de l’Education et de la Formation de l’Université de Tours : 18 étudiants et formateurs font une histoire singulière et collective de leur formation dans un groupe DUHEPS.

C’est une première. Elle permet de découvrir de l’intérieur, écrites par leurs acteurs-auteurs, quinze aventures de formation, vitales d’un point de vue culturel, d’un point de vue socio-politique et d’un point de vue bio-cognitif. Elle capitalise en plus l’apport créatif des réseaux : réseaux d’alliés, ateliers de lecture et d’écriture… Et enfin elle situe le DUHEPS dans un réseau nternational de formation-action-recherche entre la France et le Québec.

Compte-rendu de la présentation rédigé par Edith Chabot

Claire Héber-Suffrin et des co-auteurs de l'ouvrage "Quand l'Université et la Formation réciproque se croisent", évoquent comment, après trois années en DUHEPS (Diplôme Universitaire des Hautes Etudes de la Pratique Sociale), étudiants et formateurs ont souhaité relater leurs implications dans cette formation, fruit d'une alliance entre le Mouvement des Réseaux d'Echanges Réciproques de Savoirs et l'Université de Tours.
Claire rappelle comment elle devient partie prenante dans cette formation dès 1995, puis comment elle apprend à l'animer(co-animation avec P. Galvani en 1998), son souci étant :
- d'éviter l'abandon des étudiants en cours de route,
- de réduire le sentiment de solitude éprouvé souvent,
- de faciliter le travail de lecture et d'écriture, l'approche méthodologique...

L'ouvrage est composé de cinq parties :

1 : La genèse de la formation
2 : Une aventure vitale d'un point de vue culturel
3 : Une aventure vitale d'un point de vue socio-politique
4 : Une aventure vitale du point de vue de la formation
5 : Transversalités

Pour Claire, cette formation peut être vue comme un voyage (chapitre 18) : "Ensemble, nous avons bien vécu l'apprentissage comme un voyage ; la relation comme un voyage ; l'apprentissage comme un voyage dans les relations et un voyage de relation" (p. 249).

Gaston évoque, pour sa part, sa triple implication : celle d'acteur, d'éditeur et de chercheur.

- Ecrire (Gaston est l'auteur du chapitre 1), c'est prendre le temps d'effectuer un retour réflexif sur son implication depuis 1985 dans cette formation, créée à Tours en 1980.
- Editer, c'est devoir prendre en compte les confrontations narcissiques qui peuvent survenir. Le rôle devient conflictuel.
- En relatant leur parcours de formation et de formateur, les acteurs/auteurs de l'ouvrage apportent un point de vue éclairant au chercheur qui s'intéresse aux modes d'apprentissage.

Des questionnements pédagogiques sont posés : peut-on échanger ses savoirs à l'école ? De quelle façon ? Est-il possible de favoriser l'entraide, la coopération ?
Claire fait état de ses pratiques : mise en place d'ateliers (de lecture, d'écriture, de méthodologie), de réseaux d'alliés, de formations réciproques organisées autour des objets de recherche des étudiants, etc.

Selon Claire, l'éducation est bien "un acte d'amour et de courage" (P. Freire). L'accompragnement est tel qu'il s'avère difficile d'évaluer le temps des formateurs, notamment durant la dernière année, celle de la production du mémoire final et de la soutenance.

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